A la faveur de la sortie du film « Les chemins noirs « de Denis Imbert, tiré du récit « Sur les chemins noirs » de sylvain Tesson, j’ai envie d’explorer avec vous mon rapport à la marche.
Dans notre société de plus en plus sédentaire, qui a été confinée, qui vit à travers les écrans, où tout va toujours plus vite, marcher donne l’impression de se retrouver, de reconquérir la vie, d’être libre. Il n’y a qu’à voir le nombre de randonneurs et de pèlerins sur les sentiers et chemins !
Marcher est le propre de l’Homme, mettre un pied devant l’autre, c’est automatique. Marche et tout de suite, le rythme ralentit. Il faut plusieurs heures pour faire 25 km à pied quand une demi-heure suffit en voiture. Ralentir, retrouver la maitrise du temps qui passe et des journées bien remplies. Car il s’en passe des choses pendant une journée de marche.
En préparant mes affaires, mon sac à dos, en consultant les cartes, je suis déjà en chemin. L’excitation et l’impatience sont là.
Une fois sur les chemins, c’est la joie d’être en route. Marcher, c’est bouger, se mettre en mouvement et donc retrouver son corps. C’est la liberté, sans horaire et sans contrainte. Mes sens sont en alerte : la vue de ce chêne magnifique, le goût de la mûre chaude de soleil, l’odeur des fougères, le chant inconnu d’un oiseau ou le vent dans la ramure.
On change de mode de vie, le contenu du sac à dos résume sa vie mais aussi ce que l’on a du mal à lâcher. En chemin, je peux vivre tous les états de la marche. La flânerie, lorsqu’à la fin de l’étape, une fois installée, je déambule dans les ruelles du village ; l’errance, quand je rate le chemin et me retrouve perdue, la méditation en traversant des paysages monotones, la retraite lorsque je choisis de dormir à la belle étoile, …
Sur le Camino Del Norte octobre 2018
Marcher fait penser et nombres de marcheurs, le soir, notent sur de petits carnets les impressions, idées de la journée. Le silence de la marche, l’écoute du silence, en tout cas l’écoute de ce qui nous entoure, est propice au retour sur soi.
Marcher dans la Nature nous fait toucher du pied la Beauté. Ces paysages magnifiques traversés peuvent nous sauver la peau ! Dans les longues marches, j’ai le sentiment de faire partie du chemin, je suis comme incarnée dans cette nature.
Marcher nous ramène au moment présent et quand on arrive à être dans cette disposition d’esprit, libéré des tracas du quotidien (où je dors, ai-je assez à manger, …), quel sentiment d’être bien, là où l’on doit être !
On peut se découvrir courageux, accueillant, humble. On fait les rencontres que l’on doit faire, qui bousculent les certitudes et on se réconcilie avec le genre humain. Le chemin a aussi ses moments difficiles, comme dans la vie : le mauvais temps, la longue étape, certains passages du chemin, la traversée des villes parfois, la solitude aussi.
Je suis convaincue que ces centaines de kilomètres parcourus, ces semaines voire ces mois passés à marcher peuvent nous changer comme nul autre, qu’ils ont une force propre à eux-mêmes. Ils peuvent déconstruire et reconstruire ce que nous sommes. C’est atteindre les sommets et les profondeurs de l’âme, c’est réunir le corps et l’esprit.
Et c’est là que l’on devient pèlerin. Il s’est passé quelque chose. C’est comme si l’alliance d’efforts physiques sur une longue durée menait à une expérience spirituelle.
Et quand on arrive au but de sa marche, le chemin en réalité ne fait que commencer.
Le retour de ces longues marches est parfois compliqué pour certains. Les lignes ont bougé pour le marcheur mais l’entourage lui n’a pas bougé. Retrouver son quotidien, ses habitudes, peuvent demander du temps. Parfois, on ose changer les choses. Mais subsiste une chose, celle de repartir.
On the road again !
« La marche est inutile, comme toutes les activités essentielles » David le breton
« Voilà longtemps que je ne m’étais pas trouvé exactement tel que je le désirais : en mouvement. Je jouissais de me tenir debout dans la campagne et d’avancer sur ces chemins choisis. Noirs, lumineux, éclaircis. C’était la noble leçon de Mme Blixen devant le paysage de sa ferme africaine : Je suis bien là, où je me dois d’être. C’était la question cruciale de la vie. La plus simple et la plus négligée. » Sylvain Tesson dans « Les chemins noirs »
Article écrit pour l’infolettre de l’Association Compostelle Nord Coquille en Nord n°7 avril 2023